Histoire de l'IFS
Si l’IFS est un modèle thérapeutique profondément novateur, il n’est pas pour autant nouveau. Il s’ancre à la fois dans une approche empirique, nourrie par l’observation du vivant, et dans l’héritage de psychologues, médecins et psychiatres qui ont ouvert la voie à une compréhension plus complexe et plurielle de la psyché humaine.
Dans cette page, j’ai tenté de retracer des influences directes et d'autres plus éloignées, qui ont nourri l’émergence de l’Internal Family Systems. Mon intention étant de replacer ce modèle dans le paysage plus vaste des courants psychologiques.
Le modèle thérapeutique Internal Family Systems (IFS) a été développé dans les années 1980 par Richard C. Schwartz, docteur en thérapie familiale et systémique. À l’époque professeur associé au Family Institute de l’université Northwestern, il a également collaboré étroitement avec l’Institute for Juvenile Research de l’Université de Chicago. C’est dans ce cadre qu’il a observé, en travaillant avec des jeunes et leurs familles, que les dynamiques relationnelles internes des personnes méritaient d’être abordées avec autant de rigueur que les dynamiques familiales.
Chercheur, clinicien et pédagogue, Richard Schwartz est également connu pour avoir coécrit avec Michael Nichols l’ouvrage de référence Family Therapy: Concepts and Methods, considéré comme l’un des manuels les plus utilisés aux États-Unis dans le domaine de la thérapie familiale.
Face aux limites du modèle systémique appliqué exclusivement aux familles externes, Schwartz va formuler une hypothèse innovante : l’individu serait constitué, lui aussi, d’un système intérieur composé de multiples "parties" interagissant entre elles. Cette intuition donnera naissance à l’IFS, un modèle centré sur la compréhension et la réharmonisation des conflits internes. En 2000, il fonde le Center for Self Leadership (CSL) — devenu depuis IFS Institute — pour former des thérapeutes à cette approche.
En France, c’est notamment grâce au Dr François Le Doze, neurologue au CHU de Caen et psychothérapeute, que le modèle s’est diffusé. Il a introduit l’IFS dans ses pratiques cliniques et contribué à la structuration de la communauté IFS francophone, aujourd’hui active dans la formation et la diffusion du modèle en Europe francophone.
De la famille à la famille intérieure
Formé à la thérapie familiale structurale, notamment à travers les travaux de Salvador Minuchin et Murray Bowen, Schwartz applique au départ une lecture systémique des troubles psychiques. Il considère les symptômes individuels comme les reflets d’un déséquilibre au sein du système familial. C’est dans ce cadre qu’il travaille avec des jeunes femmes souffrant de troubles alimentaires, mais il se heurte à des résistances internes qu’il ne parvient pas à expliquer uniquement par les dynamiques familiales externes.
Ces patientes décrivent des conflits intérieurs entre différentes "voix" ou "parties" d’elles-mêmes : l’une veut contrôler la nourriture, l’autre appelle au relâchement, une autre encore porte la honte ou la colère. Interpellé, Schwartz décide de ne pas les interpréter comme des résistances ou des symptômes pathologiques, mais de leur accorder une écoute attentive.
En dialoguant avec ces "parties", il découvre qu’elles ont chacune une intention protectrice, même si leurs comportements semblent parfois nuisibles. Cette découverte l’amène à modéliser un système intérieur composé de sous-personnalités en interaction dynamique, analogue aux systèmes familiaux externes. C’est à partir de là qu’il formalise le concept de système familial intérieur, ou Internal Family System.
Influences théoriques et fondements pluriels
Outre la thérapie familiale, le modèle IFS s’enrichit de plusieurs influences majeures issues de la psychologie contemporaine :
La psychologie humaniste (notamment Carl Rogers et Abraham Maslow) pour sa confiance dans la tendance naturelle de l’humain à l’autorégulation et à la croissance, et l’idée qu’il existe en chacun un noyau sain capable de guider le processus de guérison.
La gestalt-thérapie (Fritz Perls), pour son attention au dialogue entre les différentes parties du soi et l’importance de leur expression directe.
Les théories de la multiplicité psychique, notamment l’Ego-State Therapy de John et Helen Watkins, qui décrivent l’existence d’états du moi distincts coexistant chez un même individu.
L’influence structurante de Roberto Assagioli
Parmi les filiations théoriques souvent peu mentionnées, l’œuvre de Roberto Assagioli, fondateur de la psychosynthèse, occupe une place singulière. Bien que Schwartz ne fasse pas explicitement référence à Assagioli dans ses premières publications, la convergence entre leurs visions est frappante.
Dès les années 1920, Assagioli défend l’idée que la personnalité humaine est naturellement multiple. Il parle de sous-personnalités ou de "moi partiels" qui ont chacun leur cohérence, leur histoire, leurs besoins et leurs rôles. Pour lui, le travail thérapeutique consiste à reconnaître ces différentes voix, à dialoguer avec elles et à les intégrer dans un tout plus cohérent, sous la guidance d’un centre intérieur qu’il nomme le Soi (Self).
Ce Soi, chez Assagioli, n’est pas une simple fonction psychique d’intégration, mais un véritable centre de conscience, capable d’observer avec détachement et compassion l’ensemble des contenus internes. Il le décrit comme la source de la volonté unifiée, de la direction intérieure, et du potentiel de transformation de l’être. Ces idées trouvent un écho direct dans la manière dont Schwartz définira plus tard le Self en IFS : une présence stable, bienveillante, dotée de qualités universelles comme la clarté, la curiosité, la compassion et le courage.
Alors que la psychosynthèse articule cette vision dans une optique de développement personnel et spirituel, l’IFS adopte une approche plus clinique et pragmatique, mais la logique de base est similaire : ce n’est pas en éliminant les parties douloureuses qu’on guérit, mais en leur permettant d’être vues, entendues et restaurées dans leur rôle d’origine.
On peut donc voir l’IFS comme un héritier contemporain, opérationnel et thérapeutique de certaines intuitions fondamentales de la psychosynthèse. Ce lien, souvent implicite, mérite d’être reconnu tant les deux approches partagent une vision non pathologisante de la complexité humaine et une foi profonde dans la capacité naturelle de l’individu à retrouver son intégrité.
Références :
Assagioli, R. (1965). Psychosynthesis: A Collection of Basic Writings. Turnstone Books.
Assagioli, R. (1973). Psychosynthesis: A Manual of Principles and Techniques. The Viking Press.
Firman, J. & Gila, A. (2002). Psychosynthesis: A Psychology of the Spirit. SUNY Press.
Ferrucci, P. (1982). What We May Be. Tarcher.
Sutherland, J. (2009). Inside Out: The Practice of Psychosynthesis. PCCS Books.
Une résonance profonde avec la psychologie jungienn
Un autre héritage important, bien que rarement revendiqué directement par Richard Schwartz, est celui de Carl Gustav Jung. Le lien entre l’IFS et la psychologie analytique jungienne se manifeste notamment dans leur vision commune de la multiplicité psychique. Jung identifie très tôt l’existence de complexes autonomes au sein du psychisme, sortes de sous-personnalités formées autour d’expériences émotionnelles marquantes, qui peuvent agir indépendamment de la volonté consciente. Cette notion entre en résonance directe avec le concept de "parties" en IFS, qui apparaissent elles aussi comme des entités internes cohérentes, animées d’émotions, de croyances et de stratégies propres.
Mais la convergence va plus loin : Jung accorde une place centrale à l’idée d’un centre organisateur de la psyché, qu’il nomme le Soi (Self) — une instance symbolique et transpersonnelle représentant la totalité de l’être. Le processus d’individuation, chez Jung, consiste à établir un dialogue entre les différentes facettes de soi (le Moi, l’Ombre, l’Anima/Animus, etc.) et à les intégrer autour de ce centre. Là encore, l’IFS adopte une logique similaire : il vise la reconnexion au Self, vu comme une présence intérieure stable, naturellement bienveillante, capable de relationner avec les parties blessées pour les accueillir, les comprendre et les réintégrer.
Enfin, la vision symbolique et non pathologisante de l’inconscient que propose Jung rejoint profondément l’approche IFS. Là où de nombreux modèles cherchent à corriger ou éliminer les symptômes, Jung — comme Schwartz — voit dans les conflits internes des messages porteurs de sens, des portes vers la transformation. Dans cette perspective, les parties exilées ou protectrices peuvent être vues comme des archétypes vivants, appelant à être reconnues dans leur fonction essentielle.
Bien que l’IFS ne s’inscrive pas explicitement dans la tradition jungienne, on peut y reconnaître une forme de psychologie archétypale appliquée — pragmatique, centrée sur le vécu émotionnel, mais ouverte à des couches profondes de symbolisation et de sens.
Références :
Jung, C. G. (1964). Man and His Symbols. Doubleday.
Jung, C. G. (1969). The Archetypes and the Collective Unconscious. Princeton University Press.
Stein, M. (1998). Jung’s Map of the Soul. Open Court.
Singer, J. (1994). Boundaries of the Soul. Anchor Books.
Hillman, J. (1975). Re-Visioning Psychology. Harper & Row.
L’héritage critique de la psychanalyse freudienne
Si Richard Schwartz ne se réfère que très peu à Sigmund Freud, l’IFS peut néanmoins être lu comme une réinterprétation contemporaine de certaines intuitions fondamentales de la psychanalyse. Freud a été l’un des premiers à proposer une vision non unifiée de la psyché, composée de forces internes en tension constante : le Ça, le Moi et le Surmoi. Ces trois instances psychiques ne sont pas sans rappeler, dans une lecture symbolique, les parties protectrices, blessées ou critiques que l’on retrouve en IFS.
Freud met également en lumière la présence de conflits intrapsychiques inconscients comme origine des symptômes. Dans une certaine mesure, l’IFS reprend cette idée : les comportements problématiques sont le fruit de tensions internes non résolues entre différentes parties du système intérieur. Là où Schwartz se distingue, c’est dans sa volonté de dépathologiser ces conflits, là où la psychanalyse les inscrit plus volontiers dans une dynamique de défense, de répression ou de névrose.
Autre point de convergence : l’idée que le symptôme a une fonction protectrice ou adaptative. Chez Freud, il est un compromis entre pulsions et interdits. En IFS, une partie protectrice adopte un comportement extrême pour éviter qu’une douleur enfouie ne soit réactivée. Mais là où Freud privilégie l’analyse des contenus inconscients par l’interprétation du thérapeute, Schwartz mise sur la relation directe et consciente entre le Self et les parties, dans une logique plus horizontale et coopérative.
Enfin, l’IFS se démarque profondément par son regard bienveillant sur les contenus psychiques : là où Freud identifie les pulsions (notamment sexuelles et agressives) comme des sources fondamentales de conflit, Schwartz met l’accent sur la noblesse de l’intention protectrice de chaque partie, même dans ses stratégies les plus extrêmes. Il s’agit moins de dompter l’inconscient que de lui offrir un espace d’écoute et de transformation.
Ainsi, sans s’inscrire dans la tradition psychanalytique au sens strict, l’IFS en constitue une descendance critique et actualisée, fidèle à certaines intuitions de base tout en s’en éloignant résolument dans la posture thérapeutique et la conception de la guérison.
Références :
Freud, S. (1900). The Interpretation of Dreams.
Freud, S. (1923). The Ego and the Id.
Freud, S. (1933). New Introductory Lectures on Psychoanalysis.
Laplanche, J. & Pontalis, J.-B. (1967). The Language of Psychoanalysis. PUF.
Rycroft, C. (1995). A Critical Dictionary of Psychoanalysis. Penguin.
Un modèle devenu evidence-based
Le modèle thérapeutique Internal Family Systems (IFS) se distingue dans sa capacité à agir en profondeur sur les systèmes internes sans confrontation violente, en restaurant la sécurité intérieure et la cohérence psychique.
Il est aujourd’hui reconnu comme une approche clinique validée par la recherche et fait partie des modèles dits evidence-based, c’est-à-dire fondés sur des preuves scientifiques issues d’études rigoureuses. En 2015, l’IFS a été inscrit dans la base de données officielle du National Registry of Evidence-Based Programs and Practices (NREPP) aux États-Unis, une reconnaissance qui atteste de sa rigueur clinique et de ses résultats reproductibles. Cette reconnaissance témoigne non seulement de son efficacité clinique, mais aussi de sa fiabilité en tant qu’outil thérapeutique dans des contextes variés.
On qualifie un modèle d’evidence-based lorsqu’il a démontré son efficacité dans des essais cliniques contrôlés, publiés dans des revues à comité de lecture, et lorsqu’il a été reconnu par des organismes de référence en santé mentale. Cette approche vise à garantir que les interventions proposées aux patients reposent sur des bases empiriques solides, et non uniquement sur l’intuition ou la tradition clinique. Cette reconnaissance témoigne non seulement de son efficacité clinique, mais aussi de sa fiabilité en tant qu’outil thérapeutique dans des contextes variés.
Plusieurs études ont été réalisées pour évaluer l'efficacité de l'IFS dans le traitement en particulier de divers troubles psychologiques comme le stress post-traumatique, les troubles anxieux généralisés, la dépression, les troubles liés à l’attachement et à la dissociation, les addictions et troubles de la régulation émotionnelle... Voici quelques liens vers ces études :
Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : Une étude pilote a examiné l'effet de l'IFS sur des patients souffrant de TSPT. Les résultats ont indiqué une amélioration significative des symptômes après 16 sessions de thérapie IFS. Psychology & Neuroscience Stack Exchange
Dépression chez les étudiantes universitaires : Une étude pilote a comparé l'IFS à des traitements traditionnels tels que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et la thérapie interpersonnelle (TIP). Les résultats ont montré une réduction des symptômes dépressifs dans les deux groupes, sans différence significative entre eux, suggérant que l'IFS pourrait être aussi efficace que les approches établies. Wiley Online Library
Arthrite rhumatoïde : Une étude randomisée a évalué l'impact de l'IFS sur des patients atteints d'arthrite rhumatoïde. Les participants ayant suivi une thérapie IFS ont rapporté une diminution de la douleur, une amélioration de la fonction physique et une réduction des symptômes dépressifs. ifstherapy.org
Autre références :
Kozlowska, M. J. D. & Hanley, S. E. (2019). Internal Family Systems Therapy and the Treatment of Complex Trauma. Journal of EMDR Practice and Research, 13(3), 152–164.
Gage, J. L. (2007). The effectiveness of Internal Family Systems Therapy in the treatment of generalized anxiety disorder. Doctoral dissertation, Loyola University Chicago.
Anderson, F. S., Sweezy, M., & Schwartz, R. C. (2017). Internal Family Systems Skills Training Manual: Trauma-Informed Treatment for Anxiety, Depression, PTSD & Substance Abuse. PESI Publishing.
Schwartz, R. C., & Sweezy, M. (2019). Internal Family Systems Therapy (2nd ed.). Guilford Press.
Archive du NREPP : https://web.archive.org/web/20170715222506/https://www.nrepp.samhsa.gov/
Etude pilote sur IFS et fibromyalgie : Shadick, N. A., Sowell, N. F., Frits, M. L., et al. (2013). A randomized controlled trial of Internal Family Systems therapy for reducing depression and improving quality of life in rheumatoid arthritis and fibromyalgia. Journal of Rheumatology,
IFS Institute – Publications: https://ifs-institute.com/resources/research
Critique méthodologique et perspective neuroscientifique :Schwartz, R. C. (2021). No Bad Parts: Healing Trauma and Restoring Wholeness with the Internal Family Systems Model. Sounds True.
Article écrit à l'aide de ChatGPT (Je n'ai pas lu les livres cités en référence)
Suivez mon actualité
Retrouvez moi à mon cabinet à la Passerelle (65bis rue de la Chauffetière 85000 Mouilleron le Captif)
Pour m'envoyer un message ⤵️